Samedi 28 mai a eu lieu un spectacle de cirque et plaidoyer en faveur des droits de l’Enfant au sein de la grande surface Robinsons, Iloilo. Découvrez l’histoire de cette journée à travers les yeux de Liesbeth, volontaire qui a accompagné les jeunes filles pour ce spectacle…
Réveil à l’aube au centre de CAMELEON. Le jour commence doucement à se lever à travers le brouillard matinal et des températures encore assez douces… L’humidité est perceptible : on peut presque voir les gouttes d’eau en condensation flotter dans le paysage, parmi la végétation luxuriante… L’atmosphère paraît mystique. Valentine, l’artiste intervenante qui a proposé aux filles de l’association des initiations au clown ces dernières semaines, et moi-même sommes prêtes à 6h15, et savourons un café sur le perron de la maison des volontaires, où nous émergeons au même rythme que la nature, et d’où nous pouvons observer la troupe de circassiennes en train de se préparer. C’est le Jour J !
Un peu avant 7h, les filles nous font signe de venir au portail. Sur les toits des deux minibus ont été ficelés le long et étroit tapis de gym, enroulé sur lui-même, que les filles utilisent pour réaliser leurs petites figures acrobatiques, trois monocycles, et la lourde structure du fil de fer. On s’entasse les unes sur les autres, pas encore tout à fait réveillées, le cœur légèrement angoissé, grisées par l’excitation des heures à venir… Notre minibus s’arrête à Passi pour prendre Charlie, volontaire coordinatrice des activités sportives, et on fonce ensuite en direction d’Iloilo. Les filles se rendorment dans les bras des unes et des autres – c’est tellement beau d’assister à toute cette tendresse dont elles font preuve entre elles…
On arrive à Robinsons une bonne heure plus tard, au moment de l’ouverture du magasin. On décharge les toits des minibus – Fatima grimpe comme un petit singe pour enlever les ficelles qui maintiennent les équipements. Comme d’habitude, un super travail d’équipe : le matériel est rapidement transporté et installé dans le centre commercial. Chacune pour soi d’abord, on inspecte l’espace scénique : la scène est beaucoup plus proche de la fontaine que ce que nous avions imaginé, et empêche certains déplacements envisagés, qu’il nous faut réinventer. La scène est plus longue que prévu, mais aussi plus étroite en largeur. Puis on répète l’ensemble de notre show, sans la musique, pour marquer les positions de chacune dans l’espace, pour que l’on puisse toutes prendre nos repères. Dans les coulisses, Faith m’aide à me remémorer mon vocabulaire en « ilonggo », dialecte de la région d’Iloilo. Vient le tour de procéder aux marquages de la chorégraphie que j’ai créée et apprise à un groupe de sept filles pour l’occasion. Nous nous apercevons rapidement que nous n’avons pas la place de faire de très larges mouvements à certains moments donnés… J’espère que personne ne tombera dans la fontaine juste en face…
Vers 10h, les filles se rendent au dortoir d’Iloilo pour aller manger et enfiler leurs costumes. Avec Valentine, nous décidons d’en profiter pour faire quelques courses. Nous ne tardons pas trop à les rejoindre, et lorsque nous parvenons au dortoir après un court trajet en jeepney, les filles sont déjà habillées et sont en plein maquillage. Certaines d’entre elles s’occupent de dessiner les traits noirs des papillons qui leur recouvrent le visage. Il est nécessaire que leurs visages soient recouverts pour leur protection, pour qu’on ne puisse pas trop facilement les reconnaître, notamment par rapport au fait que la plupart d’entre elles sont toujours en procès contre leur(s) agresseur(s). D’autres les colorent, et MaryAnn, l’une des formatrices de cirque, s’occupent des chignons. Beaucoup ne s’aventurent pas dans les pinceaux, car elles craignent trop de se louper. Du coup, le maquillage avance très lentement ; Charlie et Tita Minmin, la mère de substitution qui se rend à chacune des représentations des filles, participent à l’atelier maquillage pour aller plus vite. Je ne me souviens pas avoir déjà été douée dans le maquillage de scène, ni dans le body-painting, mais je me lance. Et heureusement, je ne loupe rien. Je colore les visages de Joan, Faith, Lalyn et Dona – l’une faisant passer le mot à l’autre que j’arrive bien à peindre le bandeau rouge qu’elles se dessinent autour des yeux. Les filles sont sublimes ; le rouge et le bleu dominent, quelques touchent de blanc et de vert ici et là. Les voilà transformées…
Il est presque l’heure d’y aller, et je ne suis absolument pas prête car je préfère d’abord m’assurer que toutes les filles le sont. Certaines d’entre elles commencent à partir, d’autres s’aperçoivent que je ne ressemble à rien : je cours enfiler mon pantalon blanc et mon t-shirt noir, Lovely me coiffe en deux temps trois mouvements et me fait un chignon comme je n’en ai jamais eu. Puis Dona me dessine un beau papillon, sur une joue uniquement, et alors qu’elle ne l’a pas encore terminé, Faith commence à le colorier d’un joli bleu ciel. Ça y est, je suis l’une d’entre elles.
De nouveau en route vers Robinsons. Je m’amuse à prendre quelques photos des filles sur le trajet ; il n’y a pas une photographie de ratée, parce que quoi que fassent les filles, elles sont ravissantes. Elles ne me semblent pas tant stressées… La plupart ont l’habitude de se représenter devant un large public, mais pour les trois fils de féristes, c’est une première ! Elles me disent qu’elles ont peur, qu’elles sentent les pulsations de leur cœur s’accélérer… Il y a déjà plus de monde dans le centre commercial, rien à voir avec ce matin. Les chaises pour le public ont été installées. On se rend sans attendre dans les espèces de deux grandes tentes dressées derrière la scène qui font office de coulisses pour commencer à s’échauffer.
Peu après, les jeunes du groupe ‘Voices of Cameleon’s Children’, notre groupe de bénéficiaires ambassadeur des droits de l’Enfant, montent sur scène et commencent leur plaidoyer en faveur des droits de l’enfant, à travers une présentation de théâtre d’images d’une trentaine de minutes. Je ne peux pas vraiment les observer, mais j’entends leur dynamisme depuis les coulisses. Je me concentre plutôt à m’échauffer et à partager avec les filles cet instant magique qui précède l’entrée sur scène. Je dis à chacune de mes danseuses que je suis vraiment heureuse de partager la scène avec elles, que j’espère qu’elles vont s’éclater à danser notre petite chorégraphie, je leur demande de tout lâcher, de donner tout ce qu’elles ont en elles, de s’amuser… Puis toutes les circassiennes se rassemblent pour prier. Elles joignent leurs mains, ferment leurs yeux et se laissent emporter par les mots de Jelyn. Je ne comprends rien, je ne suis pas catholique mais je les imite car je tiens à partager ce moment avec elles, et je pense à mon dieu à moi.
Que le spectacle commence ! Les jongleuses ouvrent le bal des sourires étincelants. Suivi d’un interlude clownesque – les clowns n’ont pas vraiment de numéro, mais plusieurs interludes au cours desquels ils transportent et débarrassent la scène du matériel. Puis c’est les fil de féristes que j’essaye d’observer comme je peux depuis les coulisses ; Andréa tombe deux ou trois fois, mais garde le sourire – le fil de fer fait déjà trembler les corps des filles à lui tout seul, le stress également, alors les deux combinés… Pour une première, je suis impressionnée de les voir aussi bien gérer leur concentration et leur équilibre !! On enchaîne sur un solo de Lovely au diabolo ; mon ventre se crispe lorsqu’elle monte sur scène, je sais qu’elle est autant capable de ne pas faire la moindre erreur comme d’en faire plusieurs… Mais le diabolo ne tombe pas une seule fois. Elle maîtrise tout du début à la fin… Et lorsqu’elle revient dans les coulisses, elle me serre les mains, je sens que les siennes sont chaudes et moites, que son front est en sueur, mais que son sourire rejoint ses oreilles et que son regard brille de mille feux : ‘Je n’ai pas fait d’erreur Tita !!’ Puis le numéro de contorsion et d’équilibre sur chaises, le numéro des pyramides, et enfin notre chorégraphie. Comme l’ensemble du spectacle, la chorégraphie me donne l’impression de se terminer en un clin d’oeil. Je sens l’adrénaline m’envahir, et en même temps, tout semble se dérouler naturellement, dans la douceur… On poursuit avec les monocycles, un numéro de portées, et le charivari durant lequel je danse en improvisation sur les rebords de la fontaine, accompagnée de Lovely et de son diabolo, Valentine, et les deux formatrices de cirque anciennement bénéficiaires de CAMELEON, Angelica et MaryAnn. On salue. Et voilà, c’est terminé.
Laurence Ligier, la fondatrice de l’association, vient vite retrouver ses circassiennes, dont elle semble fière. Difficile de se rendre compte du succès d’un spectacle depuis les coulisses… Sur scène, on peut percevoir l’ambiance générale, mais l’adrénaline et les lumières nous aveuglent, et nous empêche bien souvent de regarder le public les yeux dans les yeux. Mais toutes les personnes proches de CAMELEON viennent nous faire part de leurs retours prometteurs : Sabine Claudio, la directrice de l’association, et sa famille, Maëlle Cammas, chargée des relations entre associations Franco-Philippines à l’Ambassade Française de Manille, le couple de parrains Céline et Alain, les autres volontaires français et leurs amis expatriés… tous viennent nous féliciter…
J’achète quelques pâtisseries philippines qui m’ont bien conquise pour les partager avec les filles. On commence à recharger les deux minibus. Et comme après chaque spectacle, le soulagement d’avoir réussi à se confronter à un public et à soi-même est très vite supplanté par la douce nostalgie que le spectacle soit déjà terminé… et qu’il se soit déroulé aussi vite, après tant de répétitions, d’efforts, de sourires, d’intensité. Et peu à peu renaît déjà l’envie de recommencer.
Liesbeth, volontaire à CAMELEON Philippines en avril-mai 2016