Vendredi 27 mai.
Ce matin a lieu dans le gymnase de CAMELEON la cérémonie de réintégration de 14 jeunes filles : certaines d’entre elles vont retrouver leurs familles quand la situation le permet, d’autres rejoignent les pensions ou les dortoirs de l’association à Passi ou à Iloilo.
À 9h, alors que je me dirige vers le gymnase pour assister à la cérémonie, la chaleur me saisit. Cependant, dès mon entrée dans la salle, les sourires des filles me rafraîchissent instantanément et m’envahissent rapidement de gaieté et de douceur. Je déambule et commence à faire des photographies des 14 filles qui s’apprêtent à quitter le programme de Reconstruction Personnelle pour basculer dans le programme de Réinsertion et Autonomie : Ruby, les soeurs Mary-Jo et Irene Pearl, Jolina, Lyndie, Joan, Rhealyn, Jelyn, Dona, Jennifer, Rhea, Maricel, Josie et Amy. Elles sont plus resplendissantes que jamais. Elles arborent un maquillage soigné et naturel, leurs longs cheveux détachés sont simplement tenus par une paire de tresses. Elles portent toutes une chemise blanche, partiellement recouverte d’une longue tunique bleu ciel légèrement transparente, une jolie broche de plumes et de brillants dans les tons marrons, une jupe beige jusqu’aux genoux et souvent aux motifs fleuris, parfois des ballerines discrètes qui leur affinent le pied, parfois des escarpins élégants qui leur allongent les jambes. Tout participe à souligner la grandeur de ces nouvelles femmes après leur renaissance à CAMELEON.
Ces derniers jours, elles ont elles-mêmes préparé et décoré leur propre cérémonie, avec l’aide des autres filles qui appartiennent au programme de Reconstruction Personnelle : un parterre de tournesols bordent la scène, un tapis rouge en recouvre le centre, et dans le fond, un large éventail ornementé de plusieurs tissus colorés expose des photographies des 15 filles ainsi qu’une large affiche symbolique de leur départ : le paysage d’une vaste prairie à découvrir. À quelques mètres de la scène, des chaises ont été disposées pour accueillir les familles respectives de chaque jeune fille, lorsque leur déplacement était possible, les assistantes sociales des communautés d’où elles proviennent, un couple de parrains Céline et Alain, Maëlle Cammas, chargée des relations entre associations Franco-Philippines à l’Ambassade Française de Manille, et bien-sûr Laurence Ligier, la fondatrice de CAMELEON. La directrice Sabine Claudio a malheureusement été appelée la veille pour se rendre en urgence sur l’île de Negros, pour signer des papiers importants en rapport avec l’ouverture du prochain centre. Toutes les autres filles du programme de Reconstruction Personnelle, vêtues de leur t-shirt jaune de Caméléon, assistent au déroulement de la cérémonie dans les gradins, entourées des volontaires français et de l’ensemble des membres du personnel, dont l’infirmière, la cuisinière, les assistantes sociales et les mères de substitution, toutes émues et installées aux premiers rangs, qui jamais ne se départissent de leurs expressions et de leurs attentions bienveillantes.
La cérémonie commence : chacune à leur tour, les filles descendent de scène et vont rejoindre l’une des mères de substitution, Tita Robelyn, qui fait défiler en musique des photographies représentatives des années qu’elles ont passées à CAMELEON, projetées sur grand écran sur l’un des côtés de la scène pour que tout le monde puisse en profiter. Lorsqu’elles le souhaitent, les filles peuvent lui demander de s’arrêter sur certaines images pour en raconter leurs souvenirs. Elles commencent souvent légèrement angoissées de partager leurs témoignages personnels, puis s’esclaffent en découvrant des photographies qui ne les mettent pas forcément en valeur et qu’elles n’auraient peut-être pas aimées montrer à tout le monde, mais qui reflètent de joyeux souvenirs ; ainsi enivrées d’une douce nostalgie, les voix se mettent alors à trembler, et les larmes se retiennent difficilement…
Je suis distraite par les toutes petites Lovely et Risa qui n’arrêtent pas de me demander mon appareil pour qu’elles puissent elles-mêmes prendre des photographies (je me retrouve une fois de plus avec des centaines de clichés, pour lesquels je dois souvent deviner ce qu’elles ont essayé de prendre ou de représenter….). Quand je leur demande de me le repasser pour que je puisse saisir les instants importants et faire mon travail de reporter en herbe, elles me grimpent dessus pour regarder à travers mon objectif et m’ordonnent d’appuyer sur le bouton : ‘Go Tita ! 1, 2, 3 go !’ Pas de cadrage qui tienne avec elles… Pas facile non plus de réussir à prendre une photo nette, car j’ai du mal à être immobile vu qu’elles me patouillent sans arrêt les cheveux. Bon, j’avoue, j’adore qu’elles me collent et qu’elles me câlinent (même si je sais que leur tendresse est légèrement intéressée…).
Les témoignages reprennent. Je suis émue d’assister à cette reconnaissance officielle du chemin qu’elles ont parcouru, du bonheur qu’elles ont réussi à trouver en elles, grâce à l’aide de toutes ces personnes qui les entourent et qui cherchent à constamment prendre soin d’elles. Je suis émue d’imaginer ce qu’elles doivent ressentir, ce que Caméléon représente pour elles… Si elles se retrouvent sur cette scène aujourd’hui, c’est que toute l’équipe estime qu’elles sont suffisamment reconstruites pour être réintégrées dans la société – en soi, il n’y a rien de plus positif et prometteur – mais je sais que pour la plupart d’entre elles, ce n’est pas facile de franchir le pas, de quitter ce cocon chaleureux et protecteur.
Leurs témoignages sont tous plus touchants les uns que les autres. Jelyn commence le sien en disant que la vie nous confronte à de nombreuses épreuves plus ou moins difficiles à surmonter, que l’une d’entre elles les a poussées à atterrir ici, dans les centres de CAMELEON ; parce que son épreuve lui a permis de connaître CAMELEON et toutes ses sœurs, mères et pères de substitution, elle est presque reconnaissante d’avoir dû la traverser… Kim et Antonette, en tant que membres du programme de Réinsertion et Autonomie, témoignent ensuite de leurs expériences après les Maisons d’acceuil de CAMELEON, et Antonette prends le soin de rappeler aux filles de ne pas réaliser leurs rêves pour leurs familles, ni pour CAMELEON, mais pour elles-mêmes…
Enfin, les 14 filles remercient à l’unisson les assistantes sociales, les mères de substitution, les gardiens et les chauffeurs qu’elles considèrent comme leurs pères de substitution, l’infirmière, la cuisinière… en insistant à chaque fois sur le fait qu’elles les remercient de bien avoir voulu les accepter comme des membres de leur propre famille, malgré l’absence de lien de sang… Et enfin, elles remercient chaleureusement la mère qu’elles partagent toutes : Laurence. Les filles reçoivent chacune un cadre de leurs plus belles photographies, enrobé d’un petit ruban coloré… On clôture sur une photographie de groupe, et un repas succulent.
Liesbeth Kiebooms, volontaire à CAMELEON