Découvrez le camp d’été annuel de CAMELEON à travers les yeux de Liesbeth, volontaire partie aux Philippines pendant les vacances scolaires des enfants : 3 jours intensifs de jeux, d’échanges, de rires et de convivialité…
Mercredi 4 mai
Je découvre l’ensemble des actuels bénéficiaires de l’association Caméléon réunis dans le gymnase des maisons d’accueil de Passi, pour le lancement de l’événement incontournable de l’année : le Summer Camp. Soit environ 400 jeunes. Je suis impressionnée de voir tant de visages sous les toits de ce gymnase, qui d’habitude abrite déjà les 50 filles du programme de reconstruction personnelle. Aujourd’hui, il accueille aussi celles du programme de réinsertion et autonomie, ainsi que les jeunes des communautés alentour du programme d’éducation et développement. L’enthousiasme est à son comble, les rires se confondent, le gymnase paraît d’autant plus coloré : les jeunes se divisent en sept équipes de couleurs différentes, identifiées par des badges personnels et un drapeau – attention, celui-ci ne doit jamais être laissé-pour-compte, sinon l’équipe se trouvera dans l’obligation de répondre à des gages, comme celui de nettoyer le gymnase par exemple…
En compétition pour toute la durée de l’événement, chaque équipe tente alors de crier son chant de ralliement plus fort que celle d’à côté. Dehors, de nombreux parents s’activent bénévolement derrière des grandes marmites pour préparer les repas de tous ces enfants et adolescents, avant de les disposer sur de longues tablées en bambou, construites pour l’occasion, avec les larges huttes qui les protègent du soleil. Tout comme ce fut le cas durant ces dernières semaines, je ne discerne aucun stress chez les organisateurs ; un peu de fatigue certes, notamment chez les jeunes qui se sont vus confier, pour la première fois, une grande partie des tâches à accomplir : certains ont veillés très tard pour finir les ultimes préparatifs, mais jamais sans se dévêtir de leur sourire et de leur bonne humeur.
Cet après-midi, les équipes sont réparties à travers différents ateliers d’initiation, animés pour la plupart par des volontaires : théâtre forum, danse classique, massage thaï, massage philippin ou ‘hilot’, escalade, discours en public, table-ronde autour des grossesses précoces… Je m’occupe de la transmission du massage thaï pour deux groupes d’une vingtaine de participants, dans la bibliothèque de l’une des maisons d’accueil. Les deux sessions se déroulent très bien, la grande majorité des jeunes étant, comme d’habitude, particulièrement attentifs et intéressés. Après leur avoir montré sur un modèle la totalité du massage que je compte leur apprendre, je les fais se mettre deux par deux, et les contacts tactiles provoquent forcément des instants de gêne et de rire – certains sont maladroits et s’y prennent tellement mal qu’ils sont loin de détendre leur partenaire ! Je passe un moment très agréable en leur compagnie, et les remercie chaleureusement.
À la fin de l’après-midi, les jeunes sont de nouveau rassemblés dans le gymnase ; Sabine Claudio, la directrice de l’association, en profite pour demander aux volontaires de se présenter : heureusement que je ne suis pas la seule à le faire, car je ne me souviens pas avoir déjà parlé dans un micro avec 400 paires d’yeux rivés sur moi… Après le dîner, place à la soirée du talent. Pour tenter de faire gagner des points à leur équipe respective, non seulement des solistes montent sur scène et nous partagent leur talent, mais aussi des groupes, sélectionnés au sein des membres de chaque équipe pour qu’ils puissent réaliser un spectacle collectif. Les filles comme les garçons jouent le jeu jusqu’au bout : ils chantent, ils dansent, nous dévoilent leurs talents dramatiques… Dans les gradins, de nombreux jeunes spectateurs sont déjà en pyjamas, emmitouflés parmi leurs oreillers et leurs peluches, mais suivent attentivement le spectacle jusqu’à la fin. On voit des perles briller et d’autres un peu plus kitches, des grands timides se révéler l’espace d’une chanson et des extravertis se déhancher en musique sans modération, des performances collectives bien ficelées et d’autres un peu moins bien préparées… Il faudra attendre vendredi pour connaître les résultats finaux !
Jeudi 5 mai
Le lendemain, les festivités commencent dans les jardins autour des maisons d’accueil et du gymnase : les jeunes s’affrontent dans divers jeux originaux. J’observe certains d’entre eux courir pour déplacer un à un leurs partenaires qui se suspendent à des barres de bambou dans la position du ‘cochon pendu’ ; un peu plus loin, d’autres traversent un parcours les yeux bandés en se tenant par les épaules, à la queue leu-leu ; à un autre endroit, ils doivent, par 5, installer leurs pieds sur deux longs morceaux de bois affinés – un pour les pieds gauches, un autre pour les pieds droits – et doivent ainsi se déplacer en synchronisant leur démarche… L’organisation est fluide, et tout le monde semble beaucoup s’amuser. Je ne sais pas comment ils font pour faire preuve de tant de dynamisme alors qu’ils n’ont quasi pas dormi et que le soleil cogne particulièrement fort… L’après-midi est réservée aux tournois sportifs de volleyball, tennis de table, badminton, et bien évidemment, de basketball, sport national. Le tournoi de badminton se déroule en face de la maison des volontaires, et l’une des plus petites filles des maisons d’accueil me demande si je veux bien jouer avec elle, car elle est trop jeune pour pouvoir participer à la compétition. ‘C’est la première fois que je joue au badminton !’ me dit-elle, déjà conquise par cette nouvelle activité… Nous passons pas mal de temps à ramasser le volant par terre, mais je suis tout de même étonnée de le voir autant rebondir sur nos raquettes ! Nous nous rendons ensuite au gymnase pour assister aux matchs de basketball : les gradins sont quasi pleins, et les garçons ne manquent pas de spectatrices pour les encourager et les admirer… Des mères viennent nous apporter des soupes de riz au gingembre et au poulet pour le goûter, absolument divines.
Puis le soir, je suis juge pour l’élection de Miss & Mister Summer Camp 2016. Une fille et un garçon de chaque équipe ont été sélectionnés, et nous devons les juger sur cinq passages différents : une première entrée en musique, un défilé en tenue de ville, la démonstration de leur talent, un défilé en tenue de soirée confectionnée par leurs soins, et leur réponse à la question qu’ils piocheront dans le chapeau à questions. Les filles prennent le concours très au sérieux… impossible d’élire celle qui sourira le plus ! Elles essayent de défiler en imitant les starlettes de la mode qu’elles ont pu voir à la télévision… J’attribue mes meilleures notes à celles qui me paraissent le plus naturelles, qui me semblent incarner des exemples pour les autres bénéficiaires de Caméléon. Lors de la démonstration de leur talent, certains misent sur l’humour de la comédie, d’autres sur des prouesses vocales, dansées, voire acrobatiques… La soirée se termine une fois de plus bien après minuit, mais malgré la fatigue, la foule applaudit les participants jusqu’au bout, galvanisée par le suspense de la délibération : des prix sont prévus pour récompenser chaque passage, cependant quelques concurrents repartent les mains vides, et ne peuvent dissimuler leur déception… tandis que les heureux gagnants paraissent aux anges !
Vendredi 6 mai
Le troisième et dernier jour du Summer Camp, débute avec des jeux traditionnels philippins, surnommés ‘Laro ng Lahi’ – cette fois-ci, les cernes sont franchement apparentes, mais l’engouement est inépuisable. Deux volontaires françaises déguisées en clown accueillent ensuite au gymnase, devant tous les bénéficiaires de Caméléon, le partenaire Reed Elsevier, groupe international d’édition professionnelle investi dans des projets de solidarité internationale. Les deux clowns mettent l’ambiance et les jeunes explosent de rire lorsqu’elles commencent à grimper sur le dos des différents représentants de Reed Elsevier, dont le directeur… Difficile pour Sabine Claudio et Laurence Ligier, la fondatrice de l’association, de poursuivre une présentation solennelle de l’entreprise : les clowns embrassent et enlacent les représentants – la chaleur des remerciements est à la hauteur de leur investissement financier pour l’association !
En début d’après-midi, les finales des matchs de basketball envahissent le gymnase, et les supporters ne manquent pas le rendez-vous pour les soutenir. Je m’assois à côté des filles des maisons d’accueil, et on crie ensemble pour encourager certaines filles du programme de réinsertion et autonomie, qui sont en finale contre les filles d’une communauté. L’une d’entre elles sort du lot, et elle le sait : elle joue avec une pointe d’arrogance, comme si le match ne lui demandait aucun effort… Ce qui a le don d’agacer ses adversaires ! Notre équipe les écrase à 41 points contre 14 ! Hourra ! Puis c’est au tour des garçons de s’affronter. Je remarque rapidement que toutes les filles viennent charrier l’une de leurs amies, lorsque l’un des joueurs se rapproche de nous, et notamment lorsqu’il marque un panier… On m’informe que cette jeune fille aurait un faible pour le joueur en question…. À chaque panier, les filles hurlent et viennent féliciter leur amie, comme si elle avait elle-même marqué le panier… Ses joues rougissent, et son sourire gênée est on ne peut plus révélateur… Ce garçon a l’air de vraiment lui plaire. J’adore, j’ai l’impression d’être de retour au collège.
La fin d’après-midi se clôture par la distribution des prix – je ne comprends pas tout, mais il me semble que l’équipe au drapeau rouge l’emporte sur les autres… Puis les filles des maisons d’accueil nous montrent leur spectacle de cirque ; pour la plupart des autres bénéficiaires, le Summer Camp incarne leur unique occasion de voir se représenter l’ensemble des filles du programme de reconstruction personnelle. Après le dîner, nous assistons à un autre moment très riche en émotion : pour la première fois, des anciens bénéficiaires, appelés les ‘alumni’, sont venus pour témoigner de ce qu’ils sont devenus, des réussites et des échecs qu’ils ont connus, de ce que c’est que la vie après Caméléon. Les anciennes filles des maisons d’accueil commencent par s’exprimer ; certaines ont la trentaine, et ont fait parties intégrantes de la naissance de l’association… Les voix tremblotent, les larmes perlent sur les joues… Et à chaque fin de discours, les témoins se tournent vers Laurence, et tout en la regardant dans les yeux, elles la remercient, profondément. Je suis émue de rencontrer l’une des filles dont Laurence parle dans son livre, et dont la vie a été particulièrement difficile : le fait de la rencontrer personnalise tout ce que j’ai lu sur elle… Même si je savais qu’elle existait pour de vrai, à ce moment, elle n’est officiellement plus un personnage de fiction, mais une personne bel et bien réelle. On entend ensuite quelques anciens bénéficiaires du programme d’éducation et développement, dont les études ont été parrainées. Ils mènent pour la plupart une brillante carrière. L’une d’entre elles, qui s’apprête à devenir médecin, révèle que même si ses parrains n’avaient pas pu venir pour le jour de sa remise de diplôme, des volontaires français avaient fait le déplacement, et ça l’avait beaucoup touchée : je regarde Laurence, étonnée : ‘le temps que vous passez ici avec eux, ça compte énormément pour eux, ils s’en souviendront toute leur vie…’
L’heure tardive à laquelle la soirée disco commence n’empêche pas aux filles déjà endormies dans les gradins de se réveiller pour venir s’emparer de la piste de danse. Je ne connais pas la majorité des musiques, qui ont pourtant l’air de faire fureur aux Philippines, car tous les jeunes se déchaînent, dans une euphorie inégalable, que ce soit en pyjama ou en tenue de soirée. Ici, pas besoin d’alcool pour faire danser les garçons… Je danse n’importe comment pour faire rire les filles, surtout les toutes petites : jusqu’à 2 heures du matin, elles me demandent de leur montrer des nouveaux pas de danse… La nuit se termine enfin, et sourds et ivres de fatigue, tout le monde s’endort sans trop de difficulté….
Les bénéficiaires libèrent le gymnase au petit matin suivant. Les jeunes organisateurs s’en vont peu après, déambulent comme des zombies. Je ne peux m’empêcher de remarquer l’étrangeté du calme : les maisons d’accueil semblent abriter des fantômes… Pas un bruit. Les filles se lèvent au fur et à mesure de la journée, des valises sous les yeux, mais avant de se rendormir, toutes me confient qu’elles ont passé trois jours inoubliables…